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Souvent, lorsque j’échange avec des amis ou d’autres professionnels sur mon travail de formateur en FLE ou en alphabétisation, une question revient régulièrement : comment cela se passe-t-il lorsque la langue n’est pas la même ? Comment enseigner quand cette barrière fondamentale semble empêcher la communication ? Je ressens chez la personne cette crainte, celle de se retrouver à ma place, plongée dans un silence absolu où rien ne se passe.


Quand je suis devenu formateur de FLE, j’ai appris un nouveau langage, celui du corps et des gestes. Ces gestes me suivent partout, et je me surprends souvent à gestualiser même en parlant avec mes collègues ou des apprenants francophones, ce qui donne parfois des situations comiques. Quand je suis au téléphone avec un futur apprenant, je fais des gestes sans m’en rendre compte, comme si mon interlocuteur pouvait me voir.


Être formateur, c’est un peu comme monter sur scène. À chaque début de formation, je ressens le stress du premier soir. Comme un comédien avant un spectacle, j’ai cette appréhension : comment se passera cette première rencontre ? Quel sera leur rapport à la langue, à l’apprentissage, à moi ?


Je sais que ce premier moment est crucial. Il ne s’agit pas seulement de transmettre des connaissances, mais d’établir une relation de confiance, de créer un cadre sécurisant où chacun pourra oser s’exprimer, faire des erreurs, avancer.

Pour ces adultes, apprendre le français, ce n’est pas seulement acquérir une compétence linguistique : c’est aussi un moyen d’accéder à une autonomie et à une meilleure compréhension du monde qui les entoure.


L’apprentissage d’une langue est multifactoriel. Il y a des éléments qui nous échappent, quelles que soient les approches pédagogiques utilisées. Lors de cette première rencontre, je ressens toujours cette part d’inconnu et d’incertitude, mais aussi l’enjeu fondamental qui se joue : faire en sorte que la langue française ne soit pas qu’un outil fonctionnel, mais un espace d’expression et d’ancrage.

Pour beaucoup d’apprenants, l’apprentissage du français n’est pas un choix mais une nécessité, imposée par leur parcours de migration et les exigences administratives. Comme le souligne Patricia Gardies (2019), le "désir de vie" prend souvent le pas sur le "désir de langue", car apprendre le français ne relève pas d’un élan spontané, mais d’une obligation pour obtenir un titre de séjour, un emploi ou une formation.


Et pourtant, malgré cette contrainte, le rapport à la langue n’est jamais figé. Certains l’abordent avec curiosité et y voient une forme de liberté nouvelle, tandis que d’autres la perçoivent d’abord comme un renoncement à leur langue maternelle et à leur identité d’origine. Chaque apprenant arrive avec son histoire, ses représentations, ses résistances et ses espoirs.

Mon rôle, dès ces premiers instants, est de faire en sorte que le français devienne plus qu’un outil de survie, une langue qui fasse sens pour eux, qu’ils puissent s’approprier et investir.


Loin d’un cadre purement utilitaire, je cherche à construire un espace d’apprentissage où la langue ne soit pas qu’un instrument administratif, mais aussi un vecteur de lien social, d’expression personnelle et de projection dans l’avenir.


Or, si les voies sociolangagières d’acquisition (Adami, Leclercq) ont été clairement définies, elles ne prennent pas en compte le sentiment d’acquisition de l’apprenant, qui peut considérablement varier selon le contexte. Comment un apprenant, oscillant entre deux cultures et deux visions du monde, peut-il acquérir la stabilité et apprendre à désirer cette nouvelle langue, qui est désormais la sienne ?


Le premier contact : entre appréhension et observation


Dès les premiers instants, je perçois des attitudes variées. Certains visages sont fermés, marqués par la retenue, voire la méfiance. D’autres, au contraire, affichent une curiosité timide. Dans tous les cas, une chose est certaine : ils m’observent, m’analysent, cherchent à comprendre qui je suis et ce qui les attend.

Le premier contact varie en fonction des origines des apprenants. Avec le temps, j’ai compris que les croyances sur l’apprentissage de la langue diffèrent selon les pays et leurs systèmes éducatifs.

  • Dans certains pays d’Europe de l’Est, on considère que la connaissance de la structure de la langue est primordiale : l’écrit est perçu comme le levier de l’oralité.

  • En Amérique latine, à l’inverse, on parle plus facilement qu’on écrit. Mais lorsque vient le moment de passer à l’écrit, un blocage peut apparaître.

  • Dans certaines cultures où les dialectes coexistent, la langue est perçue comme un élément vivant et mouvant, omniprésent dans la rue et dans la vie quotidienne. Cette vision diffère de notre perspective occidentale, où l’écrit et la norme linguistique occupent une place prédominante.


Je pense alors à leur parcours. Ils n’ont pas toujours eu le choix de quitter leur pays, ni de s’immerger dans une langue qui n’est pas la leur. Pour beaucoup, l’apprentissage du français est un défi, parfois même une lutte contre des peurs profondes : celle de ne pas comprendre, de ne pas réussir, d’être jugé.

Je me mets à leur place. Que ressentirais-je si je devais apprendre une langue complètement inconnue, avec un alphabet différent, des sons nouveaux, un système grammatical qui me semble illogique ?

Pour avoir vécu des "leçons zéro", où, par isomorphisme, je me place dans la peau de l’apprenant, j’ai conscience des émotions qui les traversent. Pourtant, dans cet exercice, je ne vis pas leurs véritables enjeux.


Les premiers échanges : au-delà des mots


Progressivement, les interactions commencent. Chacun selon son rythme. Certains osent parler, d’autres préfèrent écouter et observer. Je les encourage, non pas à parler parfaitement, mais à oser s’exprimer, à utiliser les mots qu’ils connaissent déjà, à gérer le silence et l’hésitation sans se sentir en échec.

J’adopte alors l’approche qui me semble la plus naturelle : partir d’eux et de leur contexte. Comprendre ce qu’ils savent déjà, ce qu’ils peuvent mobiliser pour construire du sens.

Le vocabulaire, les actions, les gestes prennent une importance fondamentale. Je leur montre qu’un mot isolé ne fait pas tout, mais que le contexte aide à deviner, à anticiper. Peu à peu, ils découvrent que même sans tout comprendre, ils peuvent saisir l’essentiel.


Créer du lien pour déclencher l’apprentissage


Et puis, il y a le déclic. Les premiers sourires apparaissent, les regards deviennent plus assurés. Ils comprennent qu’ici, ils ont le droit de ne pas savoir, de chercher, d’expérimenter.

Les premiers liens se tissent entre eux, entre nous. Chacun apporte son expérience, sa manière d’apprendre. Ce n’est pas une simple transmission, c’est un travail d’adaptation réciproque.

Moi, je m’adapte à leur manière de penser. Eux, ils s’adaptent à cette nouvelle langue.

Le cadre est posé.


Nous pouvons maintenant avancer ensemble.




Damien Picot - Formateur FLE - Alphabétisation

Les centres d’insertion socioprofessionnelle (CISP) wallons font connaître leurs dernières statistiques: 151 centres, 472 filières de formation et plus de 14.300 demandeurs d’emploi formés en 2023. Un très beau bilan pour un secteur spécialisé dans l’accompagnement de personnes souvent peu scolarisées: plus de deux tiers des stagiaires n’ont en effet pas terminé leurs secondaires! Malgré ces réussites incontestables, la survie des CISP est menacée.


Les CISP ont ceci de particulier qu’outre l’insertion professionnelle, ils accompagnent également leurs stagiaires sur le plan psychologique et social. Ils proposent des formations de base (alphabétisation, français langue étrangère, remise à niveau, formations de base au numérique…), des formations professionnalisantes (formations à un métier), ainsi que de l’orientation professionnelle.


L’Interfédération des CISP est l’ASBL qui coordonne l’action des centres d’insertion socioprofessionnelle en Wallonie. À ce titre, elle vient de publier les dernières statistiques disponibles du secteur, portant sur l’année 2023.




(Cliquez sur l'image pour l'agrandir)


Avec près de 5,7 millions d’heures de formation, les CISP ont accompagné plus de 14.300 stagiaires sur un an, soit 12% de plus qu'en 2022. Parmi les stagiaires qui ont terminé leur formation et dont on connaît la suite du parcours, 45% poursuivent leur parcours de formation et 24% sont engagés après leur formation. Mieux, le taux de mise à l’emploi atteint 42% dans les formations professionnalisantes. Le secteur a un impact positif réel sur la mise à l’emploi d’un public peu qualifié et éloigné du marché du travail. En effet, plus de deux tiers des stagiaires n'ont pas terminé leurs études secondaires. Et deux tiers des stagiaires ayant suivi un trajet de formation en CISP étaient sans allocations de chômage ou d’insertion.


Perspectives sombres pour les CISP


Malgré ces résultats positifs incontestables, l’augmentation sensible du nombre de stagiaires, des politiques européennes d’accroissement de l’emploi et l’objectif gouvernemental d’un taux d’emploi wallon de 80% en 2029 – auquel les CISP contribuent activement – ces derniers sont soumis à une cure d’austérité sans précédent.


« Nous sommes lucides sur la conjoncture actuelle. Nous entendons que des économies doivent être réalisées en Wallonie mais nous regrettons qu'elles menacent des secteurs essentiels comme le nôtre. Nous sommes atterrés par le manque de concertation avec le secteur, malgré les assurances reçues, et la méconnaissance de nos missions par le gouvernement wallon, en particulier, et le monde politique, en général. Cette méconnaissance justifie d’ailleurs l’action de sensibilisation des députés wallons que nous menons devant les portes du Parlement aujourd’hui entre 13h et 14h. » explique Anne-Hélène Lulling, Secrétaire générale de l’Interfédération des CISP.


Réductions drastiques, conséquences inquiétantes


Ainsi, contrairement à des mesures de mutualisation de ressources annoncées, le secteur des CISP voit son budget 2025 non indexé et raboté de 2%, sans évaluation préalable. En outre, un moratoire a été décrété sur de nouvelles heures de formation et l’agrément de centres. L’Interfédération rappelle, par ailleurs, que les CISP étaient au bord de l’asphyxie financière en début d’année, consécutivement à un retard de versement de leurs subsides.


Les conséquences ne se sont pas fait attendre. Ces trois derniers mois, des centres n’ont pas pu remplacer du personnel malade, des contrats de collaborateurs n’ont pas été renouvelés et 30% des CISP envisagent de réduire leur encadrement.


Plus grave, cette situation impacte directement les stagiaires : 20% des CISP n'ont pas pu accueillir des demandeurs de formation ou ont dû les placer sur liste d'attente. À court terme, près d'un tiers des CISP estiment qu'ils devront refuser des demandes.


« Remettons l’église au milieu du village. Depuis plus de 40 ans, les CISP ont reçu pour mission d’accompagner et de former des publics parmi les plus éloignés de l’emploi. Aujourd’hui, le gouvernement wallon souhaite désinvestir les CISP. Mais que va-t-il mettre en place pour ces publics particulièrement vulnérables ? Le gouvernement wallon va-t-il se passer de l’expérience de terrain acquise par les CISP pendant plusieurs dizaines d’années de travail ? À moins que les plans de la Région soient purement et simplement de laisser tomber les personnes les moins scolarisées et les plus éloignées de l’emploi ? » s’interroge la Secrétaire générale de l’Interfédération des CISP.


Le secteur des CISP est donc plus que jamais sous pression et est en demande d’une réelle concertation avec le gouvernement wallon quant à ses perspectives. Demande qui, à ce jour, reste sans réponse, malgré de très nombreuses interpellations.


Pour plus d’informations : Anne-Hélène Lulling – Secrétaire générale de l’Interfédération des CISP annehelene.lulling@interfede.be - 0474 74 99 57



Les CISP en péril Le gouvernement wallon doit agir maintenant





L’Interfédération des CISP exhorte le gouvernement wallon d’exécuter sans délai le versement des subventions dues aux différents centres d’insertion socioprofessionnelle, les retards de payement importants mettant en danger leur fonctionnement et en péril leur stabilité financière. « Ce qui est en jeu ici c’est le versement de subventions qui ont déjà été validées par le gouvernement wallon et qui devaient impérativement être réglées pour le 15 janvier au plus tard ! » interpelle Anne-Hélène Lulling, Secrétaire générale de l'Interfédération des CISP.


Des travailleurs pénalisés


« Concrètement, cela signifie que les salaires de centaines de travailleurs du secteur ne pourront être versés, des travailleurs qui sont eux-mêmes mis en difficulté car tout le monde a des factures à payer mais tout le monde ne peut pas se permettre d’attendre de les régler... Cette situation est inacceptable et est d’autant plus interpellante que le gouvernement avait présenté l’efficacité et la simplification administrative comme des priorités de la législature. C’est inscrit partout dans la Déclaration de politique régionale !», rappelle la représentante du secteur.


Une situation intenable et totalement hors cadre


Anne-Hélène Lulling précise encore : « Alors que nous sommes déjà début février, certains CISP sont encore en attente de la confirmation de leur agrément. Cela signifie que les équipes travaillent depuis le début de l’année, sans aucune certitude sur la poursuite des activités de leur centre de formation. Devons-nous arrêter de former les demandeurs d’emploi le temps que le gouvernement daigne confirmer ces agréments ? ».


Pour la Secrétaire générale de l'Interfédération des CISP, la balle est clairement dans le camp du gouvernement : « Nous avons interpellé à maintes reprises les cabinets du Ministre de l’Emploi et de la Formation, Monsieur Jeholet, ainsi que du Ministre-Président Monsieur Dolimont, sur l’urgence de la situation. Et nous avons attendu le dépassement du délai légal avant de communiquer publiquement sur le non-respect des engagements pris, pour ne pas en faire une affaire politique. Le secteur CISP ne peut plus attendre, le gouvernement doit respecter ses engagements sinon, clairement, des centres vont mettre la clé sous la porte et des travailleurs vont perdre leur emploi. Avec un effet boule de neige pour tous les demandeurs d’emploi qui sont actuellement en cours de formation… Un paradoxe alors que le retour à l’emploi est lui aussi annoncé comme l’une des priorités du gouvernement wallon ».


Le secteur CISP regroupe 157 centres d’insertion socioprofessionnelle en Wallonie. Il forme et accompagne chaque année plus de 14 000 demandeurs d’emplois, au sein d’un public particulièrement éloigné du marché du travail.


Contacts presse

interfede-cisp

Anne-Hélène Lulling Secrétaire générale de l'Interfédération des CISP annehelene.lulling@interfede.be

(+32) 474 74 99 57


Benjamin Vokar

Chargé de communication de l'Interfédération des CISP

(+32) 485 28 53 89


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